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Paris, le 5 Novembre 2025
L'intelligence artificielle, et particulièrement ChatGPT, alimente aujourd'hui autant d'espoir que d'inquiétude. En quelques mois seulement, ces outils se sont imposés dans le quotidien de millions de personnes à travers le monde. Ils promettent de décupler notre productivité, d'accélérer nos prises de décision, d'ouvrir des possibilités créatives inédites. Pour certains, c'est une révolution qui transforme en profondeur notre façon de travailler et d'apprendre.
Pourtant, derrière cet enthousiasme se cache un malaise croissant. Et si nous perdions quelque chose en chemin ? Et si, à force de déléguer nos tâches intellectuelles à des machines, nous affaiblissions nos propres capacités de réflexion ? Cette inquiétude traverse aujourd'hui le monde professionnel et académique. Elle touche les étudiants qui se demandent s'ils apprennent encore vraiment, les salariés qui questionnent leur valeur ajoutée, et particulièrement les entrepreneurs, qui voient leur façon de travailler se transformer radicalement.
Lorsque l'IA peut analyser un marché, générer une stratégie ou rédiger un business plan en dix secondes, où se situe encore l'effort de réflexion ? L'automatisation de ces tâches libère-t-elle du temps pour penser mieux, ou dispense-t-elle progressivement de penser tout court ?
Ces questions ont pris une ampleur inédite avec la publication d'une étude du MIT Media Lab, massivement relayée dans les médias internationaux. Les titres se sont multipliés, tous plus alarmistes les uns que les autres : « ChatGPT endommage le cerveau », « L'IA nous rend moins intelligents », « Les étudiants perdent leurs capacités cognitives ». Les réseaux sociaux se sont enflammés, les éducateurs se sont inquiétés, les parents se sont alarmés.
Mais que dit vraiment cette étude ? L'IA affaiblit-elle nos capacités cognitives, ou les réoriente-t-elle vers l'essentiel ? Pour répondre à ces questions essentielles, il faut d'abord revenir sur l'origine de cette controverse et examiner ce que révèle vraiment la science.
L'étude qui a déclenché cette vague d'inquiétude a été menée par Nataliya Kosmyna et son équipe au MIT Media Lab. Son protocole était relativement simple : 54 participants ont été suivis pendant quatre mois pour rédiger des essais de type SAT (tests utilisés aux États-Unis pour évaluer les compétences en lecture, écriture et mathématiques des étudiants). Pendant qu'ils écrivaient, leur activité cérébrale était mesurée en temps réel par électroencéphalogramme. Les chercheurs ont divisé les volontaires en trois groupes : un groupe rédigeait sans aucune aide, un autre pouvait utiliser Google, et le dernier travaillait exclusivement avec ChatGPT.
Les résultats ont rapidement fait le tour des médias. Les participants qui utilisaient ChatGPT montraient une activité cérébrale significativement réduite par rapport aux autres. Moins de connexions neuronales, moins d'utilisation de la mémoire de travail, moins d'efforts pour trouver les bons mots. Ce constat a été interprété trop rapidement comme une « perte de capacité » cognitive, donnant naissance aux titres catastrophistes que nous connaissons.
Sauf que cette interprétation pose problème. Les chercheurs eux-mêmes n'ont observé ni déclin cognitif réel, ni altération durable des capacités.
Ce qu'ils ont mesuré, c'est une réduction ponctuelle de l'activité cérébrale pendant une tâche précise, dans un contexte très spécifique. Le problème central de cette étude tient en trois points majeurs.
D'abord, le manque de motivation des participants. Ils recevaient une compensation financière fixe, quelle que soit la qualité de leur travail. Aucun enjeu, aucune raison de s'investir pleinement. Dans ces conditions, il est parfaitement rationnel de ne pas mobiliser toutes ses ressources cognitives.
Ensuite, le contexte artificiel de l'expérience. Rédiger des essais sans but réel dans un laboratoire ne reflète en rien l'usage quotidien de l'IA par des professionnels ou des entrepreneurs qui ont, eux, des objectifs concrets et des enjeux stratégiques.
Enfin, l'absence d'analyse à long terme. L'étude s'est limitée à quelques sessions sur quatre mois, sans mesurer l'évolution réelle des capacités cognitives dans la durée.
Un détail vient d'ailleurs confirmer ces limites : quand les participants habitués à ChatGPT sont revenus à une rédaction sans assistance lors de la dernière session, leurs performances se sont immédiatement améliorées. Preuve que leurs capacités n'avaient pas disparu, elles étaient simplement en veille, adaptées au contexte.
Au-delà de ses limites méthodologiques, ce que cette étude révèle vraiment, ce n'est donc pas que l'IA nous rend moins intelligents. Elle montre que notre cerveau ajuste naturellement son effort en fonction des outils disponibles.
Mais alors que se passe-t-il vraiment lorsque notre cerveau réduit son activité en présence de l'IA ? Ce phénomène porte un nom en psychologie cognitive : le "cognitive offloading", ou délégation cognitive. Il s'agit d'un mécanisme naturel par lequel notre cerveau confie certaines tâches à des outils externes pour libérer ses ressources mentales et les concentrer ailleurs.
Nous pratiquons cette délégation cognitive tous les jours, souvent sans même y penser. Personne ne prétend que la calculatrice nous rend incapables de compter, ou que le GPS nous fait perdre notre sens de l'orientation. Ces outils nous dispensent simplement de tâches répétitives ou fastidieuses pour nous permettre de nous concentrer sur des problèmes plus complexes. L'IA générative suit exactement le même principe. Lorsqu'un utilisateur s'appuie sur ChatGPT pour structurer un texte ou analyser des données, son cerveau ne s'éteint pas, il réoriente son énergie vers l'évaluation, la critique, la prise de décision.
Ce mécanisme résonne particulièrement dans le monde de l'entrepreneuriat. Un leader efficace ne fait pas tout lui-même : il délègue pour mieux penser la stratégie. Il confie la comptabilité à un expert-comptable, la logistique à une équipe dédiée, le marketing à des spécialistes. Non pas parce qu'il en est incapable, mais parce que son temps et son énergie mentale sont des ressources limitées qu'il doit allouer là où elles ont le plus d'impact. L'IA fonctionne exactement de la même manière : elle prend en charge les tâches répétitives, chronophages ou à faible valeur ajoutée, pour libérer l'esprit et le laisser se concentrer sur ce qui compte vraiment.
Mais attention : la vraie menace n'est pas l'IA elle-même, c'est le désengagement intellectuel. Le danger survient quand on oublie pourquoi on utilise un outil, quand on délègue sans réfléchir, quand on accepte aveuglément ce que la machine produit sans jamais le questionner, l'évaluer, le challenger. À ce moment-là, l'IA devient effectivement une béquille qui affaiblit plutôt qu'elle ne renforce.
L'entrepreneur avisé, lui, sait éviter ce piège. Il transforme l'IA en accélérateur de discernement et de décision. La question n'est donc pas de savoir si l'IA affaiblit ou renforce notre intelligence. Elle est de savoir comment nous choisissons de l'utiliser. Utilisée avec intention et discernement, l'IA devient un levier puissant pour penser plus vite, plus large, plus stratégiquement. Et dans un monde entrepreneurial où la vitesse et la qualité de décision font souvent la différence, c'est un atout considérable. Mais cette réorientation cognitive ne reste pas un concept abstrait : elle se traduit par des transformations concrètes dans le quotidien des entrepreneurs.
L’intégration de l’intelligence artificielle dans les pratiques entrepreneuriales illustre parfaitement la façon dont la cognition humaine se réinvente à l’ère numérique. Loin d’affaiblir l’intelligence entrepreneuriale, l’IA agit comme un catalyseur : elle libère l’esprit, accélère la réflexion et ouvre de nouveaux horizons de créativité.
Prenons l’exemple de la recherche d’informations. Là où un entrepreneur devait autrefois passer des jours à éplucher des études de marché ou des rapports économiques, il peut désormais obtenir, en quelques minutes, une première synthèse structurée grâce à des outils comme ChatGPT ou Perplexity AI. Ces assistants conversationnels permettent de dégager rapidement les grandes tendances d’un secteur ou d’analyser la concurrence. Cette base de travail ne remplace pas l’analyse humaine, elle la décuple. Libéré de la phase de collecte fastidieuse, l’entrepreneur peut concentrer son énergie sur l’essentiel : repérer les signaux faibles, identifier les opportunités émergentes, anticiper les tendances. L’IA agit ici comme un véritable accélérateur de discernement.
Cette dynamique s’observe également dans la phase de conception et de mise en récit des projets. En s’appuyant sur des outils comme Notion AI ou Jasper, un entrepreneur peut explorer différentes pistes créatives, reformuler sa proposition de valeur, ou tester plusieurs versions d’un pitch. Ce processus itératif, autrefois long et laborieux, devient un véritable laboratoire d’idées. L’IA ne pense pas à sa place : elle questionne, stimule, provoque. Elle aide à dépasser le blocage de la page blanche, à multiplier les angles d’approche, à transformer une intuition en concept solide.
De la même manière, la modélisation de scénarios stratégiques s’en trouve profondément transformée. Grâce à des outils comme ChatGPT Advanced Data Analysis ou Power BI, il devient possible de simuler l’impact d’une décision, d’anticiper la réaction d’un marché ou d’évaluer la solidité d’un business model sans recourir à un cabinet externe. L’entrepreneur peut ainsi tester rapidement plusieurs hypothèses, identifier les leviers critiques et affiner sa stratégie. La technologie devient un partenaire de réflexion, mais la responsabilité du jugement reste pleinement humaine.
Au fil de ces usages, un fil conducteur se dessine : l’intelligence artificielle ne remplace pas l’intelligence humaine : elle la révèle. En libérant du temps cognitif, elle permet à l’entrepreneur de se recentrer sur les dimensions les plus nobles et les plus distinctives de son rôle : la créativité, l’intuition, la vision, la capacité à inspirer et à décider dans l’incertitude.
Reste alors une question essentielle : comment préparer les entrepreneurs de demain à intégrer cette nouvelle posture, en apprenant à utiliser l’IA avec discernement plutôt que de manière aveugle ?
Si l'IA peut devenir un tel levier de performance pour les entrepreneurs, encore faut-il savoir l'utiliser à bon escient. C'est précisément là que se situe le défi pour l'enseignement supérieur. L'enjeu n'est pas de restreindre l'usage de l'IA par peur qu'elle remplace la réflexion nous avons vu que cette crainte repose sur une incompréhension du phénomène. L'enjeu est d'apprendre à l'intégrer de manière critique et responsable, pour en faire un véritable partenaire d'intelligence plutôt qu'une béquille intellectuelle.
Chez Delta Business School, nous avons fait le choix d'accompagner activement cette transformation. Plutôt que d'interdire ou de limiter l'usage de ChatGPT et des outils d'IA générative, nous les intégrons directement dans nos cours et projets pédagogiques. Nos étudiants apprennent à les utiliser dans des contextes réels : études de marché, élaboration de business plans, création de contenus stratégiques. Mais surtout, ils apprennent à les questionner, à en évaluer la pertinence, à en identifier les limites. L'objectif n'est pas de former des utilisateurs passifs, mais des entrepreneurs capables de tirer le meilleur de ces technologies tout en gardant leur esprit critique aiguisé.
Cette approche s'accompagne d'une dimension éthique et réflexive sur l'usage de la donnée et de l'automatisation. Quand peut-on légitimement s'appuyer sur l'IA ? Quand doit-on privilégier le jugement humain ? Comment s'assurer que les décisions prises avec l'aide de l'IA restent alignées avec nos valeurs ? Ces questions ne sont pas anecdotiques : elles sont au cœur de ce que signifie être un entrepreneur responsable à l'ère de l'intelligence artificielle.
Enfin, et c'est peut-être le plus important, nous mettons l'accent sur le développement des compétences humaines, cognitives et émotionnelles que la machine ne peut pas remplacer. La créativité véritable, celle qui invente de nouveaux modèles plutôt que de reproduire l'existant. L'intuition, cette capacité à sentir les opportunités et les risques au-delà des données. Le leadership, cette aptitude à inspirer, à fédérer, à donner du sens.
L'empathie, essentielle pour comprendre en profondeur les besoins de ses clients et de ses équipes. Toutes ces dimensions humaines (soft skills) prennent une place importante dans l'entrepreneuriat, et dans la pédagogie de Delta Business School.
Former les entrepreneurs à utiliser l'IA comme partenaire d'intelligence, en travaillant sur leurs compétences humaines par le biais d’ateliers de coaching, c'est leur donner une longueur d'avance. C'est leur permettre de naviguer avec confiance dans un monde où les outils évoluent rapidement, où la capacité à s'adapter devient un avantage concurrentiel décisif. C'est leur offrir les clés pour transformer une technologie potentiellement déstabilisante en levier de différenciation et de performance.
Car au final, l'IA ne nous rend pas moins intelligents. Elle nous force simplement à redéfinir ce que signifie être intelligent dans un monde où les machines excellent dans certaines tâches. L'intelligence entrepreneuriale de demain ne se mesurera pas à la capacité de tout faire soi-même, mais à celle de combiner judicieusement ressources humaines et technologiques pour créer de la valeur de manière inédite. Et c'est précisément cette intelligence-là que nous devons cultiver.