Le Product Manager, au cœur de la conception de produit

Paris, le 16 décembre 2022

As-tu déjà entendu parler du nouveau métier en pleine ascension dans les entreprises innovantes ? Très généraliste, au cœur de l’entreprise, le métier de Product Manager existe depuis une dizaine d’années seulement en France.

Pour comprendre ce que fait un Product Manager, il faut comprendre la manière dont les entreprises conçoivent des produits. Il y a deux méthodes qui s’opposent. La première est la méthode historique, l'approche projet. 

Prenons l’exemple des constructeurs de voitures. Peugeot ou Renault, par exemple, mettent des années à concevoir un nouveau modèle. Si le modèle ne plaît pas, ils vont peut-être faire des évolutions, mais cela va prendre plusieurs années, ils n'ont pas de capacité de réaction rapide.

À l’inverse, Tesla a choisi l'approche produit, qui a été développée par les GAFAM. L’entreprise n’a qu’un seul but : sortir une voiture le plus rapidement possible pour avoir les retours de ses utilisateurs afin de l’améliorer le plus vite possible. 

Le Product Management et donc le Product Manager sont au centre de cette approche par le produit. Le rôle du Product Manager est d’étudier les comportements des utilisateurs pour émettre des hypothèses sur lesquels construire un produit. Puis, une fois le produit disponible sur le marché, il va collecter les avis des utilisateurs et itérer sur le produit, c’est-à-dire apporter des améliorations, tester de nouveau, puis améliorer encore, et ainsi de suite.

Pour mieux comprendre ce métier, nous sommes allés à la rencontre de Marianne Medioni, Product Manager en freelance et Fabrice des Mazery, Chief Product Officer (CPO), aussi leader de la communauté Product Manager française.

Après être passée par Qonto, Collective et Maki, Marianne Medioni exerce désormais son métier de Product Manager en freelance. Concrètement, aujourd’hui, elle aide les start-ups qui se lancent à créer leur Minimum Viable Product (MVP) et à définir leur stratégie de lancement, puis de pénétration de marché. 

Fabrice des Mazery compte parmi les premiers Products Manager de France, avant même que l’on nomme ce métier. Il est passé par des entreprises très connues comme IBM et Deezer, a aussi été entrepreneur plusieurs fois et est désormais à la tête des équipes Product Management de The Fork (La Fourchette). En parallèle, il a cofondé LaProductConf, la conférence annuelle des métiers du Produit.

Quel est le rôle d’un Product Manager ?

Le métier de Product Manager (PM) est différent dans toutes les entreprises, notamment en fonction de leur taille et de leur niveau de maturité. Globalement, il s’agit d’étudier l’environnement, le marché, la concurrence, les pratiques des utilisateurs et internes pour prendre des décisions en fonction des objectifs de l’entreprise. 

Fabrice des Mazery prend l’exemple d’un restaurant pour illustrer le métier : “Quand on lance un restaurant, on ne sait pas ce qui va plaire aux gens, donc on a besoin d'itérer. On va faire un plat et le faire goûter. On va voir ce que les gens aiment et ce qu'ils n'aiment pas, s’il faut rajouter ou retirer des ingrédients. On va voir si c'est la bonne typologie de plats.”

Chaque plat est une analogie pour une fonctionnalité d’un produit. “Il doit plaire, mais c'est aussi l'ensemble de la carte qui doit plaire.” Tout comme ce sont l'ensemble des fonctionnalités d’un produit qui doivent plaire à l’utilisateur pour que celui-ci rencontre du succès.

Sans oublier que le succès est évalué avant tout par les ventes. “Il faut que les gens payent pour que je puisse continuer à faire des plats. Donc je vais aussi itérer sur les prix.”

La partie design du produit est aussi essentielle pour l’utilisateur et fait partie intégrante du Product Management. “On va aussi se demander si les clients ont les bons éléments pour interagir avec le plat, les bons couverts ? Est-ce que la carte est compréhensible ? Est-ce qu’elle donne envie ?” 

Rentrons plus en détail dans les missions d’un PM au quotidien avec Marianne. Elle explique qu’à un stade expérimenté, le PM définit les axes stratégiques et à un stade débutant, il est plutôt dans l’opérationnel.

La première phase, appelée discovery (découverte en français), permet de récolter des informations sur les besoins précis des utilisateurs et des équipes en interne. De celle-ci émergent des solutions qu’il va falloir ensuite développer.  

Pour mieux comprendre, Marianne donne un exemple d’un projet qu’elle a mené chez Qonto, une néo-banque pour les professionnels, devenue la plus grosse licorne française.  : “Je bossais sur la partie onboarding (accueil des clients dans l’application). Notre objectif principal, c'était l'acquisition (augmenter le nombre de clients). Globalement, on avait besoin d'avoir plus d'utilisateurs.”

Pour avoir de nouveaux clients, une entreprise a de nombreuses options. À ce moment-là, Qonto choisit d’aller chercher un nouveau marché dans un nouveau pays : l’Allemagne. Marianne travaille alors sur les problématiques de création d’entreprise en Allemagne.

“On se demande alors : ouvrir une entreprise en Allemagne, qu'est ce que ça veut dire ? Sans Qonto aujourd'hui, comment les gens le font ? Qui sont tous les acteurs impliqués ? Quels sont les enjeux de conformité, légaux, risques ? Comment font les concurrents sur le marché ? Comment on va faire pour le gérer en interne avec toutes les équipes ?”

Une fois les enjeux clients identifiés, il faut identifier ceux de Qonto. “Est-ce qu'on veut sortir le produit demain, et donc on fait quelque chose le plus rapide possible, sans développeur web. Ou est-ce qu’on veut d'abord tester et dans ce cas-là, on prend deux ou trois mois pour avoir un produit plus construit?”

Le PM défriche vraiment tout un sujet pour arriver à une conclusion : “Voilà aujourd'hui comment on ouvre une entreprise en Allemagne, voilà les plus gros problèmes que les clients allemands, hors Qonto, rencontrent, voilà les choses qui sont les plus bloquantes.”

La solution se présente alors enfin. Le PM est alors chargé de créer un parcours client schématique et les réponses de l'application en fonction de son comportement. 

Pour ce faire, il dessine les différents écrans de l'application avec l'aide des parties prenantes, notamment les développeurs, qui vont apporter l'expertise technique pour dire quelles sont les meilleures solutions, les plus rapides, celles qui sont réalisables techniquement ou pas…

En effet, Marianne conclut en rappelant l’essentiel : “L'idée c'est quand même d'avoir un produit à mettre dans les mains de l'utilisateur le plus rapidement possible pour voir ce qu'il en fait et itérer.” 

On arrive enfin à la phase de delivery (livraison) qui consiste à lancer la production du produit en s’assurant de respecter les recommandations faites à la suite de la phase de discovery. En clair, les idées sont transcrites en lignes de code, interfaces et applications, par les équipes de production, afin de livrer le produit digital dans les meilleures conditions.

En résumé, le rôle d'un Product Manager, c'est de construire un produit en menant l'enquête afin de répondre de la meilleure façon aux problèmes de l'utilisateur. Puis, il dessine le chemin que toute l'équipe (développeurs, designers, marketeurs…) va prendre pour construire ce produit-là.

Quelles sont les compétences clefs du Product Manager ?

Marianne Medioni et Fabrice Des Mezary s’accordent sur le fait que les compétences essentielles pour être Product Manager sont des softs skills. 

Selon Marianne, il faut faire preuve d'empathie, être structuré et avoir de bonnes capacités de communication. 

L’empathie d’abord, car comme elle l’explique, “tu construis des solutions qui ne sont pas pour toi. Et si tu ne sais pas te mettre à la place de celui qui va l'utiliser, il y a une grande chance que tu passes à côté.”

La structure est aussi importante, car les informations proviennent de toutes parts. “Il faut trouver l'équilibre entre ce que va dire une équipe et une autre équipe. Sachant qu'au final tu es celui qui a le dernier mot et que tu dois garder en tête une ligne directrice” développe Marianne.

Elle donne un exemple de son époque chez Qonto : “le plus simple pour convertir de nouveaux clients c'est d'avoir un formulaire d'inscription avec le moins d'étapes possibles, puisque plus rapidement la personne arrive à la fin, plus rapidement elle est cliente.”

Mais dans un produit comme Qonto (une banque), il faut vérifier beaucoup d'informations pour être sûr que le client n’est pas un fraudeur.

Le PM doit trouver l’équilibre entre les équipes de conformité qui disent "il faut qu'on vérifie ça, et ça pour dire OK, on peut entrer en relation avec lui. Parce que si on ne le fait pas, on peut prendre des amendes." Et de l'autre côté, l'équipe acquisition client qui veut le moins d'étapes possibles pour avoir le client rapidement.

Fabrice des Mezary complète en insistant sur le fait qu’il faut être en mesure de gérer l'incertitude et la complexité. “Le Product Manager a une équation à respecter : 

  • Premièrement, les choses doivent être faisables, car si tu demandes à la cuisine un plat impossible à réaliser, il ne sortira jamais.
  • Deuxièmement, il faut que ce soit viable, c’est-à-dire qu’il faut qu’on puisse le monnayer.
  • Troisièmement, il faut que ce soit désirable, parce que si personne n'en a envie, ce sera un échec.”

Il s’agit donc de résoudre cette équation en sachant qu’il y a toujours de bonnes idées qui arrivent, mais qu’il n’est pas possible de toutes les tester. Le PM doit donc jongler sans cesse avec les hypothèses sans avoir la certitude que sa décision sera la meilleure. 

Quelle formation suivre pour devenir Product Manager ?

Selon Fabrice des Mezary, “il n'y a pas de meilleure voie, il faut avoir un minimum de compétences un peu partout. Selon d'où tu viens, tu vas être plus ou moins orienté technique, design, data ou marketing par exemple.”

Marianne Medioni rejoint Fabrice : “pour moi il n'y a pas encore de formation, je pense que tu n’as pas besoin de background particulier. Il faut comprendre comment fonctionne une entreprise.” 

Compte tenu des compétences clefs, il semble que la formation idéale pour devenir Product Manager se base avant tout sur le développement des softs skills. Elle doit t’apporter une vision d’ensemble de l’entreprise.

Quel est le salaire d'un Product Manager ?

L’étude menée par La Product Conf, communauté française des professionnels du Produit, révèle qu’en moyenne un Product Manager gagne 45 000€ pour une expérience de 0 à 2 ans. Le montant évolue avec l’expérience pour atteindre environ 72 000€ par an avec plus de 10 ans d’expérience.

En freelance, Marianne déconseille de se lancer sans expérience préalable, mais à un stade plus expérimenté, elle explique que les prix à la journée dépendent du client et de l’expérience. On constate des tarifs journaliers allant de 500€ à 1 000€. 

Quelles sont les évolutions possibles après un poste de Product Manager ?

Comme nous l'avons vu tout au long de l’article, le métier de Product Manager est généraliste. Il permet de toucher à toutes les branches d’une entreprise et donc de repérer des choses qui pourraient t’intéresser plus ou moins. 

La première évolution est la plus évidente, elle existe dans beaucoup de métiers : il s’agit de devenir manager. Une fois l’expérience de son métier acquise, on peut gérer une équipe et développer les compétences de ses collaborateurs. C’est le métier de Fabrice des Mazery aujourd’hui en tant que CPO. 

Mais cela peut aussi être un tremplin vers beaucoup d’autres métiers comme nous l’explique Marianne : 

  • tu peux facilement passer de PM à User Researcher (le spécialiste dédié à l’étude du comportement des utilisateurs), si tu aimes vraiment faire de la recherche ;
  • si tu aimes la dynamique marketing, tu peux devenir Product Marketing Manager (il planifie et coordonne le lancement d’un produit sur le marché, c’est lui qui va construire l’histoire autour du produit pour aider les utilisateurs à l’adopter) ;
  • si tu as une grosse appétence design et que tu arrives à te former sur l'outil, sachant que tu as déjà acquis les compétences de réflexion pour construire la solution, tu as des ponts pour devenir Designer (il crée l’univers visuel du produit) ; 
  • si tu aimes beaucoup les chiffres, tu peux devenir Product Data/Data Analyst (il analyse les données pour aider l’entreprise à prendre des décisions).

Enfin, Fabrice des Mazery souligne une dernière piste : “tu peux aussi devenir Chief Executive Officer (CEO ou en français, PDG) assez facilement, car en tant que PM, tu as déjà des compétences de communication développées. Tu as l’habitude de travailler avec des gens qui ont des spécialités très différentes des tiennes. Tu as touché un peu à tout et tu as été amené à prioriser tes choix, à prendre des directions même si tout le monde n'était pas d'accord. Selon moi, c’est une évolution naturelle.”

Enfin, nos deux interviewés terminent chacun avec un conseil pour toi.

Pour Marianne, un jeune étudiant qui souhaite devenir PM devrait “trouver un mentor. Il ne faut pas hésiter à échanger avec des gens, parce que c'est un métier extrêmement jeune, qui a seulement 10-15 ans en France, et toutes les boîtes le font différemment.”

Pour Fabrice, “le meilleur apprentissage du monde, c'est de lancer quelque chose même si c'est quelque chose de gratuit et d'itérer dessus. Cela peut être un podcast, une newsletter, un produit, un jeu vidéo… Avoir cette démarche d'itérer, de comprendre, de voir ce que les gens aiment et ce qu'ils n’aiment pas, de corriger au fur et à mesure…”.